Une autre histoire sans nom

Chapitre 1 : L'adieu

Les gouttes de pluie tombent sur la plus grande ville du Royaume, [1]. En temps normal, elle est toujours en effervescence, même sous la pluie, mais aujourd'hui, bien qu'il y ait plus de monde en ville qu'il n'y en a jamais eu, toute la vie de la ville s'est rassemblée au même endroit, vers le Cimetière des Héros, là où sont enterrés tous ceux ayant oeuvré pour le bien du Royaume et ayant prêché la Parole des Dieux. Vers l'Autel de l'Envoi, autel en diamant décoré de tout ce qu'il y a de plus précieux, plus exactement. Des feux allumés tout autour pour le rituel illuminent et réchauffent les chanceux qui ont réussi à être dans les premiers rangs. Tout le monde est debout pour assister à la cérémonie d'adieu et de sacrement du plus grand guerrier qui a combattu les Démons. Dans le cercle de torches, un second cercle, totalement de feu cette fois, séparait la famille proche du guerrier, c'est-à-dire sa femme et son fils, en larmes, des autres cercles élémentaux, de l'Autel et du Haut-Prêtre se tenant derrière, dans sa toge d'un violet mystique, le visage vieilli par les siècles de vie qu'il avait connu, grâce à l'immortalité qui lui était offerte par les Dieux à cause de son statut. Il était accompagné de deux assistants, chargés de rétablir l'ordre en cas de besoin. Le corps du défunt guerrier, brûlé, mutilé, que tout le monde était venu accompagner dans son dernier voyage, était allongé sur l'Autel.

Soudain, la lumière naturelle commença à décroître, signe que la cérémonie allait démarrer, et l'assemblée se tut. Le Haut-Prêtre prit alors la parole, et sa voix résonna, venant à la fois de partout et de nulle part.

« Chers frères de sang, de patrie et de croyances, comme vous le savez tous, nous sommes en ce jour réunis par un drame qui nous a tous marqués. Les Démons, ces six êtres malfaisants attaquant le Royaume dans le but de satisfaire leur soif de sang, avaient été en partie mis en déroute par cet homme qui est maintenant couché devant moi. En effet, il en avait déjà tué un sur les six, et comptait débarrasser définitivement le monde de ce fléau, mais n'a pas réussi à survivre à un second combat. Grâce à lui, l'espoir de faire disparaître la souffrance de ce monde est revenu, et nous nous devons donc de l'accompagner jusqu'aux Dieux, qui en feront un des leurs. »

Tandis que le Haut-Prêtre tardait à continuer sa tirade, une voix discrète chuchota dans l'assistance, mais dans le silence total l'entourant malgré les milliers de personnes présentes, ce fut comme si elle avait crié :

« Sans blague, je croyais qu'on était là pour faire la fête, draguer tout le monde, et finir dans tout les bars à faire des orgies se... »

La voix arrêta de parler, et le bruit d'un corps tombant à terre puis de ronflements se fit entendre. Le Haut-Prêtre reprit.
« Merci. Nous devons donc accompagner cet homme jusqu'aux Dieux, pour qu'ils en fassent un des leurs. Je t'en prie, Ô (1), Dieux des Dieux, entends ma prière, et guide cet âme errante jusqu'à ton royaume, et ouvre-lui les portes de la Toute-Puissance. »

Le Haut-Prêtre continua alors et se mit à chanter ses prières dans un ancien langage, dont très peu de personnes, le plus souvent très haut placées dans la hiérarchie religieuse, connaissaient les clés. Alors que le chant gagnait en puissance, un point lumineux apparut très haut dans le ciel, juste au dessus de l'Autel, et grossit en formant un cercle, jusqu'à ce qu'il fasse la taille du cercle de torches au sol. Les flammes, du sol comme des torches, gagnèrent en puissance, s'élevant déjà à plusieurs mètres. Les autres cercles élémentaux s'illuminèrent de jaune, de blanc, de vert et de marron, avant que, dans une formidable explosions de couleurs, des colonnes de glace blanche et de terre ne s'élèvent jusqu'au cercle du ciel, entourées d'éclairs et de vents si condensés que les courants aériens pouvaient se voir. Le spectacle dura quelques secondes, puis, dans un grand flash, tout disparut. Sur l'Autel, il n'y avait plus de corps, plus d'armure, plus rien, comme si rien ne s'était jamais passé. Le haut-Prêtre, lui, se retirait déjà avec ses deux assistants, la mer de spectateurs s'ouvrant sur son passage. Les dernière flammes au sol ou sur les flambeaux se consumaient et la pluie les éteignait. La foule partit. Un homme, resté par terre en train de dormir, se réveilla, se demanda ce qu'il s'était passé pendant quelques secondes, et partit. En peu de temps, la place autour de l'Autel fut déserte, mis à part les gouttes de pluie, et la mère et le fils du guerrier, en larmes. Une petite voix se fit entendre, triste, et pleine de désespoir.

« Maman... »

La voix se durcit un peu.

« Je ne comprends pas pourquoi les Dieux nous laissent tant souffrir ici... Je les tuerai pour ça...
- Ne dis pas ça, mon chéri... »

Puis, ils se levèrent tous deux et rentrèrent chez eux, seuls, sous ce ciel menaçant, cette pluie écrasante, et devant un avenir sombre et incertain.

Chapitre 2 : L'Epreuve des Dieux

Etant donné le rang de héros national de feu son père, ce jeune garçon frêle, (2), eut droit à la meilleure éducation, aux meilleurs quartiers dans le château de la capitale du Royaume, ainsi que sa mère, qui passa une vie paisible. Cela eut bien sûr un coup : En tant que fils de celui qui avait tué un des Démons, il portait en lui tous les espoirs du peuple, et devait se montrer à la hauteur de la légende. Bien sûr, ses précepteurs ne lui facilitaient pas la tâche, bien au contraire. Mais déjà, à l'âge de seize ans, il était devenu un des guerriers les plus prometteurs. Sa plus grande envie était devenue d'être consacré, comme son père, Combattant des Dieux, pour avoir les pouvoirs nécessaires pour terminer son oeuvre. Seulement, comme toute compétition, les rivaux peuvent être prêts à tout pour gagner : (2) avait déjà été victime de plusieurs tentatives d'empoisonnement, et un de ses meilleurs amis avait été arrêté puis emmené dans le Gouffre des Lamentations, toutes les preuves étant contre lui. Malgré cela, il n'a cessé de clamer son innocence tant que (2) pouvait l'entendre. Personne n'a jamais plus entendu parler de lui.

A l'âge de dix-neuf ans, la vie de (2) ne se résumait déjà plus qu'à un entraînement intensif et à une attention sans failles pour échapper à la fourberie de certains de ses adversaires. Ses concurrents s'étaient déjà réduits au nombre de neuf, les autres ayant déjà abandonné ou péri, et un autre vint à mourir durant l'année, poignardé en pleine nuit : Une erreur de débutant, selon (2).

Ce ne fut que lorsqu'il eut ses vingt ans que l'Epreuve commença à être organisée. Visant à permettre aux Dieux de choisir le guerrier à qui ils allaient confier leur pouvoir, elle consistait en plusieurs combats, continuant toujours jusqu'à l'évanouissement ou la mort des combattants, à trois endroits différents où avaient lieu différentes manches. Il y avait tout d'abord le combat contre des monstres capturés pour l'occasion dans une grotte sombre, où les héros devaient s'allier pour faire face aux hordes d'ennemis : Inutile de préciser que dans le noir, quelques incidents volontaires survenaient parfois dans leur équipe, et que le plus grand danger venait de derrière. Ainsi, l'équipe fut réduite à six personnes après cette épreuve, les autres ayant péri. (2) lui-même a failli être tué par un de ses compagnons, mais s'est retourné à temps pour parer le coup et riposter mortellement.
Le second lieu était une arène gelée, où des stalactites mortelles invoquées par les organisateurs attendaient le moindre prétexte, la moindre vibration, pour se précipiter avec furie sur leurs futures victimes; où le froid interdisait de rester immobile sous peine de l'être à jamais; où il était impossible de se repérer autant au son, à cause de la réverbération, qu'à la vue, tout ayant la même couleur blanc bleuté du sol au plafond. Ici, il fallait seulement survivre du lever au coucher du soleil. Si le repos pouvait être mortel, il était de toute façon impossible, à cause de l'envie de gloire animant certains concurrents. Ainsi, une personne périt pourfendue par une stalactite, une autre dans un effondrement causé par un concurrent, et une troisième après s'être opposée à (2), qui en ressortit blessé superficiellement, mais d'ores et déjà prêt pour la dernière épreuve, qui aurait lieu le lendemain, un véritable baptême du feu, au sens propre du terme.

L'un de ses deux adversaires encore en vie s'appelait (3). Véritable fourbe, il n'hésitait pas à faire tout ce qu'il fallait pour que la situation tourne toujours à son avantage. Il avait été le bourreau de trois personnes lors des dernières épreuves,, et était le plus malhonnête de tous les combattants de la promotion. Grand et fort, tout son temps libre, il le passait à s'entraîner, et la vie n'était qu'un combat pour lui... Un combat pour la gloire : Imbu de lui-même, il pensait que vaincre les Démons serait chose facile et que le père de (2), ainsi que tous les Combattants des Dieux précédents étaient des faibles. Avoir un tel Combattant serait un gâchis, se disait (2). Aussi se disait-il que son second adversaire avait plus de chances d'y arriver.

Celui-ci, il ne connaissait pas son nom, mais il savait que c'était le plus honnête de tous ceux qui avaient participé à ces épreuves : Jamais une seule fois il n'avait frappé un de ses concurrents, à part pour se défendre, et il lui est même arrivé d'aider certaines personnes attaquées... et pourtant, (2), de par son caractère méfiant, ne lui a jamais parlé.

L'Epreuve du Feu était la plus dangereuse, autant par les périls du terrain que par les créatures qui y étaient abandonnées lors de l'épreuve : Les meilleurs chasseurs du pays devaient se charger de ramener les plus féroces créatures qu'ils pouvaient afin d'offrir un défi suffisamment grand aux participants. Cette épreuve ne s'achèverait qu'une fois qu'un Combattant des Dieux a été élu... Cela pouvait facilement prendre plusieurs jours.

Avant que le soleil ne commence à se lever, (2) était déjà debout. Il mangea beaucoup pour ne pas avoir faim et ainsi risquer de baisser sa garde le temps de manger quelque chose sur le terrain. Bien que les jours précédents l'aient exténué, il ne pouvait pas abandonner. Il embarqua aussi quelques provisions, son équipement, et regarda ce volcan où il risquait de passer plusieurs jours de sa vie... Il se dit alors qu'il partait soit pour un repos éternel, soit pour une vie sans répit possible, puis se mit en route, l'horizon commençant à s'éclaircir.

Il arriva peu avant que le soleil ne soit visible à l'horizon, mais ne vit aucun de ses concurrents : Ils allaient sûrement entrer sur le champ de bataille ailleurs. Ce volcan était toujours en activité, et l'air était lourd et chaud, chargé de cendres, alors que le sol, lui, était parcouru de petites rivières de lave un peu partout : Ce n'était pas le meilleur endroit pour démarrer, il suffirait d'un pas à un endroit peu solide pour que tout se termine rapidement, sa compétition comme sa vie.

Le soleil commença à briller à l'horizon. Un chant sacré résonna dans toute la zone, entonné par les mages, puis de grandes barrières rouges faites de magie pure brillèrent autour du volcan. L'Epreuve finale avait commencé.